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Consultant Média Journaliste

Actualité : Pourquoi on en a marre de l’info?

L’actualité peut être épuisante et anxiogène, même pour ceux qui en font leur métier. Journaliste depuis dix ans, je suis passionné par l’actu, mais il m’arrive de ressentir le besoin de déconnecter. Ce phénomène d’évitement de l’actualité est de plus en plus courant, et il est important d’en comprendre les causes, les conséquences, et de chercher des solutions.

J’en ai marre de l’actualité. Je suis journaliste depuis dix ans alors ça peut paraître paradoxal mais je ne peux pas nier qu’elle est parfois épuisante voire anxiogène. Cela ne m’empêche pas d’être passionné par l’actu et ce n’est pas demain la veille que je vais arrêter de m’informer. Cependant, vu que je sature parfois que je ressens le besoin de déconnecter, de faire une pause, je comprends celles et ceux qui le font et même celles et ceux qui décident volontairement de se couper totalement de l’info, d’éviter les sites d’actu, de la presse.

L’actualité est rarement réjouissante. Je ne parle pas seulement des guerres en Gaza, en Israël, en Ukraine, mais aussi du contexte électoral, la peur de la montée de l’extrême droite, la polarisation de la société, et puis la crise environnementale, les inégalités sociales. Les médias traitent beaucoup de sujets difficiles.

Alors je vais essayer, pendant quelques minutes, d’analyser ce phénomène d’évitement de l’actualité. Je vais suivre le plan suivant : d’abord le constat. J’ai récupéré quelques études, des statistiques. Ensuite, je passerai non pas aux causes, mais d’abord aux conséquences, notamment démocratiques. Puis je passerai donc aux causes et enfin seulement on verra comment on peut trouver des solutions.

Une tendance croissante à éviter l’actualité

D’abord, le constat. Je me base ici sur le Digital News Report de l’institut Reuters. Évidemment, ce n’est pas la première étude qui montre ce constat, mais vu que ça vient de sortir, je vais me baser là-dessus. D’abord, on a un chiffre global qui montre que 39 % des personnes interrogées disent qu’elles évitent parfois ou souvent l’actualité. En 2017, on était à seulement 29 %, donc il y a eu une hausse de 10 % en combien d’années ? En sept ans ? C’est évidemment énorme. Et là, on voit qu’il y a certains focus sur certains pays. En France par exemple, en 2019, c’était le cas de 37 % qui disaient éviter parfois l’actualité. En 2024, on est à 46 %. Donc, on voit que ça a augmenté dans la plupart des pays présents dans cette étude, avec certains pays qui stagnent un peu plus, par exemple comme le Japon.

On a d’autres informations intéressantes dans ce rapport sur l’évitement de l’information. Avec l’autre côté du spectre, c’est évidemment les personnes qui se disent très intéressées ou extrêmement intéressées par l’actualité. On voit que cette proportion a chuté dans de nombreux pays, comme l’Espagne, l’Argentine, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne. Dans d’autres pays, ça a plutôt stagné, surtout en Finlande où on a gagné un petit point, en Corée du Sud où la baisse est négligeable, il y a deux points de perdus, et puis d’autres pays où il y a eu une baisse moins significative, comme les Pays-Bas, les États-Unis et l’Autriche.

Le cas de la Belgique

La Belgique est comprise dans l’étude, mais il n’y a pas de focus sur notre pays en particulier. Mais on a quand même des indices prouvant que la tendance existe chez nous aussi. D’abord, dans cette publication, Avoiding the news, qui est sorti en 2023, il y a des chiffres sur la Belgique. La question posée n’est pas aussi claire que « Est-ce que vous évitez l’information et à quelle fréquence ? », mais il y a un tableau qui montre que parmi les personnes qui n’arrivent pas à bien se situer dans le champ politique entre la gauche, la droite et le centre, 10 % de ces personnes-là en Belgique évitent l’information. On voit qu’il y a une proportion à gauche de 3 %, au centre de 2 % et à droite de 2 %. Donc, on voit que le phénomène existe chez nous aussi, et ce n’est pas la seule indication. Il y a d’autres indications dans l’étude de cette semaine, et je vais vous montrer ça aussi.

Avoiding the news

On voit par exemple que seulement 44 % des Belges font confiance à l’information. En Belgique francophone, c’est seulement 35 %. En Flandre, c’est un peu plus, mais ce n’est pas très élevé non plus. On voit que seulement 15 % des Belges paient pour l’information en ligne. Il y a plein de chiffres intéressants, mais on voit que globalement, la consommation de l’info baisse.

Les conséquences de l’évitement de l’actualité

Impacts démocratiques

Quelles sont les conséquences de cela ? On pourrait se dire, bon, les citoyens apprécient moins et limiter la réflexion comme pour n’importe quel produit de consommation. Des industries se sont éteintes avant la crise de la presse et d’autres s’éteindront dans le futur. On pourrait limiter la réflexion à cela. Sauf que l’industrie de l’information n’est pas une industrie comme les autres. La raison principale est démocratique. La presse est le quatrième pouvoir. Sans une presse indépendante, la démocratie est en danger. Pourquoi ? Parce que le débat public peut être affaibli, parce qu’il n’y a plus de journalistes pour révéler des problématiques de société ou liées aux politiques, même aux élus, ou des problématiques d’État. Cela ouvre la porte aux abus, à la corruption, aux influences politiques et économiques. C’est aussi la porte ouverte à la désinformation, aux fake news et à la manipulation des citoyens.

Impacts économiques et sociaux

Je pourrais citer une autre raison liée aux entreprises, aux travailleurs, aux journalistes et autres professionnels des médias qui perdent leur job, voient leurs conditions de travail se dégrader. Cela affecte évidemment la qualité du travail et donc impacte aussi l’aspect démocratique que j’évoquais. C’est quelque chose qui m’affecte particulièrement, pas seulement pour moi, mais pour l’ensemble de la profession et des jeunes journalistes qui la rejoignent.

On pourrait dire que des pertes d’emplois et la dégradation des conditions de travail, la presse n’est pas le premier secteur à la subir. C’est pour cela que je mets plutôt l’accent sur l’aspect démocratique, car c’est la vraie raison, le vrai problème lié à l’évitement de l’actualité, même si l’aspect économique est hyper important et il faut en parler pour résoudre aussi les problèmes de conditions de travail dans le secteur.

Les causes de l’évitement de l’actualité

Contexte sociétal

J’en ai relevé quatre ou cinq. D’abord, il y a le contexte sociétal. L’étude dont je vous parlais met en avant la lassitude pour les actualités de longue durée, notamment les conflits armés comme en Ukraine et Gaza. Il y a aussi la désillusion à l’égard de la politique en général qui contribue au déclin d’intérêt pour l’actualité. La politique occupe un temps médiatique considérable, et forcément, s’il y a une lassitude à ce niveau, on consomme moins l’actu.

Surcharge informationnelle

Deuxième raison, la surcharge informationnelle. Si vous me suivez sur LinkedIn, vous savez que je défends la sobriété de l’information. On n’a pas besoin de 25 sources d’infos entre les réseaux sociaux, les sites web, la télé, la presse écrite, la radio. Il y a une place sur le marché belge francophone pour une offre différente que je tente de développer dans mes activités professionnelles. Cette surabondance est problématique, car il est difficile de filtrer ce qu’est une bonne info pertinente selon ses intérêts. On entend parfois des réflexions comme « au moins aux États-Unis, ils font de l’investigation », alors qu’en Belgique francophone, il y a aussi beaucoup d’investigations, d’enquêtes et de journalisme de qualité. Les citoyens méconnaissent le paysage médiatique en Belgique. Si on tombe sur un site d’info gratuit ou un compte Facebook, on peut avoir l’impression que le travail journalistique n’est pas poussé, ce qui n’est pas le cas de l’offre payante.

Éducation aux médias

Cela renvoie à un problème d’éducation à l’actualité et aux médias, sur lequel on peut agir dès l’école obligatoire. Il y a aussi un problème d’offre. Si les gens évitent l’info, c’est aussi parce que l’offre n’est pas bonne. Les médias doivent peut-être mieux adapter l’offre à la demande. Selon un rapport, les besoins des personnes qui évitent l’info diffèrent de ceux qui ne l’évitent pas. Ceux qui évitent l’info ont moins besoin de mises à jour de l’actualité, de suivre les dossiers en détail, d’être éduqués ou de mettre les choses en perspective. Ils ont plus besoin d’être inspirés, divertis, de se sentir connectés et d’être aidés pour agir concrètement. Cela permet d’identifier un modèle pour toucher ce public et éviter l’évitement de l’actualité.

Solutions pour réduire l’évitement de l’actualité

Actions individuelles

Concrètement, à titre individuel, c’est pour ces raisons que depuis bientôt un an, j’ai commencé à communiquer davantage pour éduquer aux médias, à découvrir et évoquer les coulisses du journalisme et à intervenir pour montrer que l’actu ce n’est pas si mal et qu’il faut aussi payer pour elle. Encourager la pensée critique, donner des outils pour mieux sélectionner et évaluer les sources d’info, insérer dans sa vie une hygiène informationnelle, séparer le temps de loisir du temps de l’information et pratiquer des pauses numériques sont importants.

Actions collectives

À titre collectif, les médias et les journalistes doivent proposer une couverture équilibrée, nuancée et adaptée aux besoins des publics cibles, avec un focus peut-être plus sur les solutions que sur les problèmes. Ce sont des réflexions en cours dans toutes les rédactions du pays, à mon avis, avec une importance sur la transparence et la responsabilité, qui doivent être au cœur des pratiques journalistiques. Il faut aussi faire attention au vocabulaire utilisé, éviter la culpabilisation et savoir utiliser les émotions sans créer de l’anxiété. Il y a un tas de questions sur la ligne éditoriale qui doivent être posées et qui sont en cours. Cela prendra du temps, évidemment.

Innovation et soutien économique

L’innovation peut également jouer un rôle clé. Elle permet notamment de renforcer le lien entre les journalistes et les rédactions d’un côté, et les lectrices et lecteurs, ou les spectateurs, de l’autre côté. Cela permet de créer de l’interaction et de renforcer la confiance grâce à une relation plus directe.

Enfin, il y a le soutien économique. On a besoin d’un modèle économique qui fonctionne, sans lequel le secteur ne pourra pas s’en sortir. Pour cela, nous avons besoin de soutien public, notamment à travers des aides à la presse. Le dossier Bpost a causé des soucis récemment, mais le soutien public reste crucial. Nous avons également besoin du soutien des citoyennes et citoyens, qui sont souvent attirés par l’info gratuite malgré ses nombreux défauts. Soutenir l’information de qualité et le journalisme de qualité reste essentiel.

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